Voici la nouvelle lettre que notre planète la Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, écrit à une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne.
Par Gilles Voydeville
Nous sommes en juin 2020 du calendrier grégorien. C’est une nouvelle lettre que notre planète la Terre, Gaïa chez les Grecs considérée comme un être vivant, écrit en réponse à la précédente que lui a adressée son amie la planète Aurore Kepler. Celle-ci, dénommée Kepler 452b par la NASA, tourne dans la constellation du Cygne à 1400 années lumières de la nôtre. Elle y a été découverte en 2015 par le satellite observatoire Kepler. Par sa taille, sa masse, son âge (plus vieille de seulement 1,5 milliards d’années) et par l’orbite qu’elle décrit autour de son étoile, elle a la particularité de posséder des similitudes avec notre mère Gaïa. D’après la communauté scientifique, elle pourrait être habitée.
De Gaïa
3 ronde du soleil
Bras d’Orion
Voie lactée
À Aurore Kepler
Constellation du Cygne
Bras d’Orion
Voie lactée
Ma chère Aurore
Je te remercie de m’avoir si vite répondu et de toujours chercher à me secourir face aux périls qui m’entourent. Ce qui me navre vraiment, c’est que nous ne pouvons échanger nos habitants. Une petite greffe des tiens parmi les miens leur ferait un bien fou. Je suis tellement lasse de leurs folies que certains jours, j’ai envie de m’enfuir dans un espace où ils ne pourront survivre. Mais les lois de la gravité m’empêchent de m’échapper et j’enrage en ce moment de tourner en rond. Je me fais penser à ces pauvres quadrupèdes, attachés à un piquet, qui se morfondent en attendant que leur charmant maître vienne les détacher.
Si je n’ai ni maître, ni piquet, ni corde, je suis pourtant dépitée par mes rondes que Charmant bosselle de son incessante insolence.
Je me console en admirant les beautés de ma nature, humant les parfums qui s’exhalent des buissons de roses dans les vallées d’Hispahan, guettant dès l’aube le déploiement des nénuphars sur les étangs poissonneux de Bohême, ou encore frissonnant à la tombée du jour sous les alizés qui bercent les hibiscus de mes péninsules tropicales.
A la vitesse de la lumière
Pour lui enseigner les bonnes manières de tes habitants, je rêverais d’un voyage de Charmant du côté de chez toi. Mais si je me réfère à l’avancée de ses connaissances sur la courbure de l’espace et du temps, il n’y a pas beaucoup de solutions dans un proche avenir pour que ses astronautes parviennent à te visiter. Dans une précédente lettre nous avions calculé qu’il faudrait vingt cinq millions de mes années à ses vaisseaux pour te toucher. Et si ses vaisseaux traçaient à la vitesse de la lumière, il leur faudrait quand même la durée de 1400 cycles autour de mon astre. Comme la théorie de la relativité générale, décrite par un certain Charmant dénommé Einstein, ne prévoit rien qui puisse voyager plus vite que la lumière, cela fait encore beaucoup trop de temps surtout si l’on se réfère à la brève durée de la vie de Charmant. Il y a une exception dans cette théorie qui stipule que si deux trous noirs étaient intriqués, il y aurait une possibilité d’un « trou de vers » qui raccourcirait l’espace temps et permettrait le voyage.
Mais je ne vois rien de très noir autour de moi.
Toutefois toutes deux, nous correspondons, ce qui signifie qu’il y a d’autres solutions que Charmant n’a pas encore comprises. Les recherches de ton Ovoïde doivent être plus avancées car le tien dispose de la téléportation de son corps qui est sans doute une application de la physique quantique (réservée dans mon monde aux corpuscules microscopiques) aux corps macroscopiques. Sur ma terre on sait déjà que les parties d’un système quantique ayant interagi, par exemple une paire de photons lumineux qui sont à la fois particule et onde, restent liées ; corrélées sans qu’aucun signal ne soit échangé entre elles. Les mesures faites sur l’une ont un effet immédiat sur les mesures faites sur l’autre, même si elles sont très éloignées. Elles sont intriquées et, quelle que soit leur distance, correspondent plus vite que la lumière. La conséquence de cette application quantique pourrait expliquer l’existence de mondes multiples que mes Charmants réfutent ; mais à laquelle l’un d’entre eux, du nom de Hugh Everett, avait songé il y a un peu plus de cinquante cycles.
Un autre monde
Comme l’a démontré l’École des Physiciens de Copenhague, il n’est pas possible de déterminer en même temps et la position et la vitesse d’une particule se déplaçant sous la forme d’une onde ; et que la position de la particule mesurée n’est qu’une des positions de cette particule. L’indéterminisme serait la manifestation de l’ignorance de la situation dans une réalité plus vaste que celle que Charmant appréhende. Everett en a conclu qu’il pourrait exister un autre monde où une autre position pourrait être appréciée. Moi même, je te donne toujours des références dans un monde mais parfois mes souvenirs se troublent car le temps ne s’écoule pas de la même façon dans le monde dans lequel je te parle et dans un autre où je fais des incursions sans le savoir.
Un philosophe a récemment émis une théorie qui désigne Charmant comme un sujet quantique.
Il a analysé une phrase souvent répétée par les siens, admise par tous et en tout lieu et il l’a légèrement modifiée pour bien traduire la réalité de son être. Cette maxime dit : « On ne peut pas être et avoir été, mais on est ». Pour ce philosophe, cela traduit l’état quantique de Charmant. Car être et avoir été sont deux états d’un même système sujet qui se rapprochent de la dualité de l’état des objets quantiques. Ils répondent au principe d’incertitude d’Heisenberg (un Charmant de Copenhague) qui édicte que plus la connaissance d’une certaine propriété d’un système quantique est précise (l’être) plus la connaissance de certaines autres propriété du système sera imprécise (l’avoir été). Et inversement la plongée dans « l’avoir été » brouille la connaissance de « l’être ». Et les deux états font que Charmant est la somme d’une personne qui comprend un état passé et un état présent. On pourrait en conclure que si deux êtres charmants quantiques étaient intriqués, ils correspondraient plus vite que la lumière en se téléportant immédiatement de l’un à l’autre.
Ce fut ce qui arriva
Un autre de mes Charmants a récemment rapporté une expérience intéressante. C’est un médecin un peu spécialisé et dont la patientèle s’étale sur une grande région d’environ trois mille agglomérations, villes, bourgs, villages et hameaux. Il est flâneur et le dimanche, il a l’habitude de se promener dans toutes ces campagnes pour découvrir des monuments et des paysages. Dans son rapport, il dit que le lundi suivant ses balades, il voit souvent en consultation un ou deux patients provenant de l’un des villages qu’il a traversé le dimanche. Et donc un jour, il décida de narguer un peu plus le soi-disant hasard, en vérité de confronter ses pressentiments à la réalité. Quand il fut arrivé dans un des villages qu’il ne connaissait pas, il ressentit le besoin de dire à son épouse qui l’accompagnait : « Demain je verrai en consultation un patient d’ici. ».
Et bien le lendemain, ce fut ce qui arriva.
Statistiquement il n’avait aucune chance de gagner son pari. Mais la venue du patient de ce village lui confirma que la notion d’espace temps de ce monde dans lequel il croyait vivre n’était peut-être pas la seule à devoir être considérée. La théorie des mondes temporels multiples issus de la théorie quantique pouvait lui apporter une autre explication.
Des soucoupes volantes
Donc pour l’instant, mes Charmants balbutient encore dans la connaissance de l’Univers et j’ai le sentiment que les projets de transports rapides viendront plutôt de tes habitants les Ovoïdes. Les miens ont rêvé un certain temps de voir arriver des soucoupes volantes de l’Univers mais, las et déçus, ils construisent maintenant des engins spatiaux qui se traînent malheureusement à une vitesse ridicule.
Ah ! Ils m’avaient bien fait rire avec leurs soucoupes volantes ! Leur imaginaire avait dû travailler en prenant le café qui est aussi une tradition de la fin du déjeuner, propice à l’assoupissement. Pendant sa digestion, l’un d’entre eux avait dû lorgner sur la soucoupe de sa tasse de café et il l’avait vue décoller et lui faire des cercles autour de la tête. Et pendant un certain nombre de cycles, ce fut une épidémie d’engins non identifiés qui firent la une des journaux. Les Charmants rivalisaient les uns avec les autres pour photographier, qui le lampadaire du quartier, qui le frisbee des gosses éclairé par les phares de la voiture. Par leur visite, ces OVNI (Objet Volant Non Identifié) visiteurs impromptus de l’au delà, généraient sur la basse terre une haute considération pour leurs hôtes.
Cela impressionnait le voisinage.
Je me rappelle que l’on disait que ces soucoupes volantes étaient pilotées par d’inquiétants petits hommes verts, des Martiens… je ne sais pas d’où sortait cette affabulation, mais je sais que Charmant aime bien le pousse-café – genre Cognac ou Armagnac – et je pense que l’initiateur des soucoupes avait dû abuser de ces breuvages pour en arriver là. Ce fut donc la belle époque des Martiens. Ils hantaient les nuits du samedi soir qui n’étaient pas encore sous l’emprise de la Dance et des herbes magiques. Malheureusement pour ma distraction, ces élucubrations cessèrent quand Charmant apprit, avec la montée en puissance de ses télescopes, que Mars ne lui apporterait pas beaucoup de surprises. Maintenant il envisage, comme je te l’ai déjà raconté, d’y installer une base de repli au cas où il serait confronté à l’une de mes grosses colères, ou à l’intrusion d’un bolide interstellaire menaçant mon espace et ma terre.
Chasser en meute
Bon, j’en reviens à une autre petite épidémie, celle que j’ai organisée récemment avec mes microbes couronnés de diadèmes. Charmant s’en est plutôt bien sorti. Je n’ai pas réussi à taper dans ses forces vives. Je suis un peu déçue, car à l’époque des châteaux forts et des chevaliers, j’arrivais à décimer presque la moitié de la population assez facilement. Mes affidés les microbes traversaient les armures comme l’aquilon la morne plaine et les preux chevaliers tombaient comme les feuilles à l’automne en pensant subir la vengeance des créatures célestes qu’ils avaient offensées.
Maintenant Charmant croit moins aux histoires magiques et quand je lui envoie des microbes, il se méfie un peu plus. Donc, je le contrôle moins bien et là en ce moment, je vois mon épidémie de Couronnés disparaître dans les couches orangées de mon astre déclinant. Charmant est meilleur qu’avant. Au début il hésite à croire ce qu’il voit, à se penser être l’objet de ma vindicte. Puis de mauvaise grâce, après de basses péripéties dont je t’ai déjà parlées, il s’organise et répand la nouvelle – il communique dirait-il – pour chasser en meute mes adorables petits microbes. Charmant trouve les moyens de repérer mes microscopiques alliés, avec des réactifs, avec des microscopes électroniques (il paraitrait que les microscopes cryogéniques peuvent déjà voir les atomes).
Puis il invente des tas de molécules tueuses.
Il s’isole, mais ça n’est pas neuf, pour éviter les chaines de transmission. Et il finit par arriver à juguler mes vagues pernicieuses, qui ondulent dans le firmament pour faire oublier, par la joliesse de leur danse, qu’elles ont échoué dans leur mission. Mission Impossible, me répondent mes Couronnés. Je songe donc à les rééquiper avec un matériel génomique encore plus labile et plus changeant que celui des derniers nés de leur parentèle.
De petites fumeroles
Donc, cette fois-ci, si je n’ai pas vaincu la surpopulation, j’ai réussi un joli coup en arrêtant les usines. Et je fais tout pour que son industrie ne redémarre pas. J’ai un grand allié dans cette affaire, c’est la gent qui enseigne les petits de Charmant. Nombre des enseignants ne veulent pas reprendre leur travail pour des raisons que le travail ignore. Et de ce fait, les parents doivent garder leurs petits et ne peuvent reprendre leur métier.
Donc, tout va encore bien pour moi à ce jour.
Les usines crachotent des petites fumeroles, les hommes du bâtiment n’édifient qu’avec lenteur, et les artères des cités, tout comme les serpents de bitumes qui couvrent ma terre, sont moins enfumés que les flancs des volcans. Rien ne redémarre comme avant et j’en suis ravie.
La croissance, qui est chez Charmant un mantra presque aussi nécessaire à la survie que l’oxygène, est en panne sèche. Avec un peu de chance leur civilisation va revenir vingt ans en arrière ; ce qui va me donner un peu de répit. Mais je sais aussi que comme d’habitude, ce sont les plus pauvres Charmants qui feront les frais de ce qu’ils appellent la récession. Car, si à une époque de son existence Charmant a généré des prophètes qui ont voulu répartir les richesses, il s’est avéré que c’était pour ces prophètes un moyen détourné de se les approprier. Charmant est incorrigible. Parfois il a de bonnes idées désintéressées, mais souvent il se fait doubler par les plus fourbes d’entre les siens qui détournent l’invention à leur profit.
C’est une valse, un ballet…
Donc j’espère que ses machines à faire de la fumée vont ralentir leur panache nauséabond. J’ai l’impression que les Charmants fainéants vont se mettre un peu plus au travail et cesser de faire fabriquer, donc voyager, leurs marchandises comme si cela ne me coûtait pas. Car comme je te l’ai déjà appris, c’est sur mon continent asiatique que les usines font les produits dont tous les peuples de Charmants usent. Et les transports sont incessants. En Asie, il faut amener le pétrole pour l’énergie, acheminer les matières premières pour la fabrication, importer des produits semi-finis pour la transformation, renvoyer un peu plus loin des produits manufacturés pour les affiner, puis les réimporter, les empaqueter et les vendre en les adressant sur les lointains continents des acheteurs. C’est une valse, un ballet, un tourbillon de denrées, mais ça n’est pas une danse rythmée par des prodiges de grâce, c’est un maelström qui lamine mes eaux, empeste mon air et appauvrit ma terre.
La fable du colibri
Quand je pense aux débuts de mon petit être charmant, cueillant mes baies rouges dans les buissons, mes fruits jaunes sous les branches basses, buvant dans ses mains l’eau limpide de mes ruisseaux ou chassant les aurochs devant sa caverne ! Maintenant s’il peut consommer une tomate provenant du jardin du voisin ou celle d’une serre hors-sol d’un pays lointain, il n’hésitera pas une seconde pour la seconde. Au lieu de se faire tailler un habit dans une toile tissée dans sa vallée, il se vêtira d’un objet informe ayant parcouru la distance de ma circonférence avant d’avoir trouvé sa forme indicible.
Ah je ne sais ce qui me retient de faire un malheur !
La reprise, prédisent les Charmants optimistes, va être un tournant. En tout cas, je l’espère une autre façon de tourner. Car les meilleurs Charmants se sont rendus compte des travers qu’ils m’infligeaient. Ils voudraient m’exploiter avec plus de circonspection. Ceux-là sont encore vus comme des Martiens car on les surnomme les Verts ; il se pourrait qu’ils changent la donne s’ils convainquent les peuples charmants de les porter au pouvoir.
Aurore, connais-tu la fable du colibri ?
La voici : le colibri est un oisillon minuscule, à peine plus volumineux qu’un papillon. Il bat des ailes plus vite qu’une abeille, peut faire des vols stationnaires et vit dans les forêts tropicales. Un jour un immense feu se déclara dans la forêt d’Amazonie et tous les animaux, exceptés la salamandre qui ne craint pas le feu et le colibri qui avait beaucoup à faire, s’enfuirent et désertèrent les lieux. Le colibri n’arrêtait pas d’aller et de venir, tout prêt du feu, et cela agaçait la salamandre qui ne comprenait pas ce ballet et craignait de voir un oisillon acquérir des propriétés qu’elle se voulait jalousement garder.
La salamandre : « – Que fais-tu donc encore par ici, oisillon de malheur ? Ne vois-tu pas que tu vas griller comme un perdreau sur une broche de Charmant ? »
Le colibri : « Dame Salamandre, je ne fais que mon devoir. » répondit l’oisillon.
« Mais quel est donc ce devoir qui expose ta vie à la cruauté des flammes ?
– Eh bien, Dame Salamandre je vais à la rivière y puiser quelques gouttes d’eau, et quand mon bec est plein, je m’en reviens ici pour les verser sur le brasier.
– Dis-moi oisillon, ne crois-tu pas ce geste présomptueux, voire inutile ?
– Dame Salamandre, je le sais.
– Et si tu le sais, pourquoi le fais-tu ?
– Dame Salamandre, je le fais par devoir, je fais ma part. »
Quelques milliers de cycles
Tu vois Aurore, j’aimerais bien que chaque Charmant fasse sa part pour m’épargner des tracas. Si chacun fait, si petit soit-il, un effort pour me préserver, cela me ferait un grand bien et nous permettrait peut-être lui et moi de nous supporter encore quelques milliers de cycles. Il faudra plus, c’est certain. Mais l’état d’esprit de faire sa part, c’est le seul état qui puisse transformer ses comportements et donc préserver mes matières. C’est l’exemple par le sacrifice qui entraînerait les foules charmantes vers la vertu. La maturité gagnerait ses esprits et, d’irrémédiable manière, la contamination vertueuse se ferait de proche en proche. Ce serait une issue pour sortir de l’impasse qu’est devenue ma blessure. Après viendront les décisions des grands maîtres qui gouvernent ses peuples. Leurs décrets ne sont souvent que l’expression de la pensée majoritaire des foules de Charmants et quand les décisions des gouvernants vont à l’encontre du désir des peuples, ils finissent sans exception par être renversés.
Voilà ma bienheureuse Aurore, je vais clore cette litanie de plaintes et attendre ta réponse. L’espoir me soutient même si le quotidien m’abat. Chaque soir je regarde mon ciel et regarde ton astre briller en espérant des jours meilleurs. Vue d’ici, tu formes avec d’autres étoiles un Cygne Blanc comme un névé de givre, tu rayonnes comme un diamant dans une parure de reine et tu illumines un coin de l’Univers d’un tel éclat qu’il ne peut émaner que d’un esprit majestueux.
Ta Gaïa
August 02, 2020 at 01:22PM
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