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Sunday, June 28, 2020

Lettre ouverte à Monsieur Le Ministre de l'Education Nationale - Le Club de Mediapart

kokselama.blogspot.com

Monsieur Le Ministre,

Quelques jours avant le début du confinement, j'apprends avec joie et satisfaction que je suis admissible à l'agrégation interne de lettres modernes. Non sans raison : j'ai beaucoup travaillé pour parvenir à ce résultat, jonglant entre les cours à préparer pour mes élèves, les corrections régulières des copies, les trajets, car célibataire sans enfant, Madame L'Education Nationale sait bien que cette situation personnelle ne me permet pas d'avoir les points nécessaires pour me rapprocher de mon domicile. Le travail a donc payé, de même que le sacrifice de mes vacances, de mes week-end et de mes soirées. Me voilà biadmissible à l'agrégation, statut bâtard qui n'est plus revalorisé depuis que quelqu'un parmi vos prédécesseurs a supprimé la petite rallonge de salaire qui était auparavant octroyée à celles et ceux qui parvenaient à décrocher une double admissibilité à l'agrégation.

Peu importe : mon objectif cette année, c'est de transformer l'essai et de tout mettre en œuvre pour y parvenir. Quand le 12 mars, Le Président de la République annonce le confinement, je me doute que les oraux prévus la première semaine d'avril ne pourront pas avoir lieu à ce moment-là. Ce n'est finalement pas plus mal, car la charge de travail liée à l'enseignement à distance, aux appels réguliers aux familles et le suivi de l'orientation des élèves de 3e dont je suis professeure principale fait qu'en cette fin de mois de mars, j'accuse un retard sensible dans mon programme de révision.

Le mercredi 15 avril, je vous écoute parler à la télévision et expliquer les nouvelles modalités réservées aux concours de l'Education Nationale. Je vous entends nous assurer « qu'aucun candidat ne sera pénalisé ». J'y apprends aussi avec stupeur que les oraux des concours internes sont repoussés au mois de septembre. Non que je me plaigne de devoir poursuivre mes révisions durant tout l'été : quand je me fixe un objectif, je me donne les moyens d'y parvenir. La covid est passée par là, si je m'en tire avec un été studieux, ce ne sera pas un drame... Ce qui me contrarie, en revanche Monsieur Le Ministre, dans votre décision de reporter les épreuves orales en septembre, c'est que quelques jours plus tôt les programmes de la session 2021 ont été publiés, et comme chaque année dans ma discipline, ils sont radicalement différents de l'année précédente. Ainsi, il me faudrait poursuivre mes révisions sur le programme 2020 durant tout le printemps et l'été, pendant que les candidats non admissibles et novices pourront eux mettre ce temps à profit pour commencer à aborder le programme de la session 2021. De fait, si je ne suis pas admise en septembre, je suis pénalisée, car à cette date il sera bien trop tard pour s'atteler à un programme aussi lourd. En effet, les épreuves écrites ont lieu dès janvier. Tous les rapports de jury et autres ouvrages méthodologiques vous le diront : pour espérer décrocher l'agrégation, il faut se mettre au travail dès l'été, voire dès la publication des programmes. Ainsi, votre annonce du 15 avril est de fait contradictoire : vous assurez ne pénaliser personne, et vous me pénalisez moi, comme de nombreux autres agrégatifs et candidats aux concours internes en général. En reportant les épreuves en septembre et en publiant les nouveaux programmes, vous avez rompu le principe d'équité entre les candidats de la session 2021.

La solution du mois de septembre était acceptable, Monsieur le Ministre, du moins pour les agrégations internes - pour le CAPES, je ne sais pas, car je ne connais pas les modalités d'affectation des lauréats -, mais pourquoi, diable, avoir publié ces fichus nouveaux programmes ? Il fallait maintenir les programmes de la session 2020 et l'équité était préservée entre tous les candidats, les non admis de 2020 et les autres. C'était simple, vous ne l'avez pas fait et vous vous étonneriez presque des protestations du collectif des admissibles, qui revendique l'admission pour tous.

Par ailleurs, d'autres solutions étaient envisageables, plus pertinentes peut-être, que celle de septembre :

  • Ces épreuves orales pouvaient avoir lieu en mai en visio-conférence, dans des lycées de chaque académie ou département. À cette époque les lycéens n'avaient pas encore regagné leurs établissements, de fait disponibles pour accueillir les oraux des concours internes.

  • Ces épreuves pouvaient aussi avoir lieu au mois de juin en présentiel dans les locaux des universités, libérées de leurs étudiants.

  • Pour le mois de juillet, je ne vous en parle pas car il est évident que cette période devait être réservée aux épreuves des concours externes.

Pourquoi le ministère n'a-t-il pas anticipé l'organisation des épreuves orales des concours internes alors même que Le Président de la République a annoncé le début du déconfinement dès le 13 avril ? Il apparaît donc que les services du ministère disposaient du temps nécessaire pour réfléchir à la réorganisation des ces épreuves, quitte, en accord avec les jurys, à les aménager, à les alléger peut-être, pour en faciliter l'organisation en période de crise.

Au lieu de cela, Monsieur Le Ministre, vous avez décidé de supprimer les épreuves orales, et les candidats concernés l'ont appris au matin du 2 juin par les médias. Aucun courriel officiel émanant du ministère n'est ensuite venu confirmer cette décision, et il a fallu vérifier nous-mêmes qu'elle était bien entérinée en consultant jour après jour les décrets parus au Journal Officiel.

Le matin du 10 juin, le décret est paru et comme tant d'autres de mes camarades, j'ai cessé les révisions d'un oral que je n'aurai jamais passé. Quatre mois et demi de travail et de sacrifices balayés ; une somme d'efforts inutiles, auxquels je me suis consacrée depuis le début du mois de février, au lendemain des épreuves écrites.

Et pourtant, pendant ce temps-là, Monsieur Le Ministre, d'erreurs en bévues, de bourdes en incohérences, vous vous obstinez dans une voie qui n'est pas celle de l'équité : seuls les admissibles les mieux classés seront admis, dans la limite des postes disponibles et sur la base des épreuves écrites. Quoiqu'il arrive, cette idée n'est pas juste, car elle prive les admissibles d'un droit : celui de défendre leurs qualités et leurs compétences à l'oral. Souvenons-nous tout de même qu'il s'agit là de concours de recrutement d'enseignants. Mais, à la limite, à la rigueur, si le ministère n'avait pas eu d'autres solutions, il aurait fallu avertir les admissibles dès le mois de mars, et non en juin, afin qu'ils ne poursuivent pas des révisions inutiles.

J'ai cru lire ici ou là, Monsieur Le Ministre que vous aviez dessein de supprimer l'agrégation interne. C'est une opinion qui vous appartient et vous avez pleinement le droit d'engager le débat à ce sujet au sein du ministère dont vous avez la charge. Par contre, vous n'avez pas le droit de négliger l'organisation des concours internes, dont l'agrégation, et de faire peser les conséquences de cette défaillance sur les malheureux candidats privés d'oraux. La souffrance est palpable chez de nombreux admissibles non admis, et qui ne supportent pas l'idée, ô combien légitime, d'avoir « échoué » sans avoir pu se défendre à l'oral. Quelles seront les conséquences psychologiques sur ces candidats, dont certains semblent réellement ravagés et meurtris par la situation ? Il faut penser aux gens, Monsieur Le Ministre, aux femmes et aux hommes qui ont en charge l'éducation des enfants du pays, en pas seulement aux chiffres.

C'est pourquoi il est temps, Monsieur Le Ministre, de sortir de cette affaire par le haut. Le ministère s'y est fourvoyé avec une accumulation de bévues et de décisions non prises à temps, ou inopérantes. Il est vrai que cette crise est inédite. Cependant, ce n'est pas aux candidats de subir les conséquences de ces défaillances. Aussi, sachez faire preuve de grandeur dans l'issue de cette crise, faites votre mea culpa ainsi que celle du ministère et déclarez admis tous les admissibles aux concours internes de la session 2020. Il en va du principe de justice et d'équité, faute d'avoir pu réorganiser correctement les oraux.

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June 29, 2020 at 01:26AM
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